vendredi 22 juin 2018

Un œcuménisme qui vaut le voyage – ou le chemin

(c) Albin Hillert/COE
À force de se plaindre ou de piaffer, on perd la mesure des avancées considérables de l’œcuménisme. En 1969, Paul VI fut le premier pape à rendre visite au siège du Conseil œcuménique des Églises. Parmi les toutes premières phrases de son discours, il prononça celle-ci : « Mon nom est Pierre. », avant de laisser passer un silence, afin que nul ne doute du sens de ce qu’il venait de dire et de la conception de l’œcuménisme qui sous-tendait cette affirmation abrupte.

Le pape François, lui, s’est présenté, au matin de ce 21 juin, « en pèlerin à la recherche de l’unité et de la paix ». Quel changement de ton ! Troisième Pontife à rencontrer le COE, après Paul VI donc et Jean-Paul II en 1984, il est le premier à faire de cette visite l’unique motif de son déplacement à Genève. Bien sûr, la journée a commencé avec quelques rendez-vous protocolaires inévitables et d’ailleurs fort brefs, et elle s’est achevée avec une messe. Mais c’est bien l’invitation lancée par le Conseil œcuménique des Églises à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, et elle seule, qui est à l’origine de l’événement, marqué par une prière commune le matin et un discours l’après-midi. Pour ce pape, l’œcuménisme ne mérite plus seulement un détour, il vaut le voyage – pour parler comme le Guide Michelin.

L’épisode s’inscrit dans une continuité. En 2015, François avait visité la communauté réformée de l’Église vaudoise de Turin, puis la paroisse luthérienne de Rome. En octobre 2017, à l’occasion des 500 ans de la Réforme, il s’était rendu à Lund, à l’invitation de la Fédération luthérienne mondiale. Sans compter, bien entendu, la rencontre de 2014 et d’autres contacts avec le primat orthodoxe Bartholomée, moins inhabituels. Ce pape a de la suite dans les idées. Il pose des actes comme autant de petits cailloux qui tracent un chemin.

C’est précisément de chemin qu’il a parlé dans la prédication qu’il a donnée le matin, dans la chapelle du Centre œcuménique (photo). Partant de l’épître aux Galates – les protestants apprécieront ce choix – il s’est arrêté à l’appel répété de l’apôtre Paul aux Galates à « marcher selon l’Esprit » (Gal 5, 16 et 25).
 
Le pape au Centre oecuménique de Genève (c) VaticanNews
L’homme est un être en chemin, en quête, a-t-il commencé. Et Dieu lui-même, en Jésus-Christ, s’est mis en chemin. Il donne son Esprit aux siens pour qu’ils marchent selon cet Esprit. Renier cette vocation, c’est marcher, selon le mot de Paul,  « selon la chair », c’est-à-dire préoccupé de soi-même seulement et de tout ce que l’on peut accaparer pour soi. C’est la raison profonde des divisions entre chrétiens : cette mentalité « selon la chair » s’est infiltrée dans les Églises.

Mais le mouvement œcuménique, lui, est un fruit de l’Esprit, a poursuivi le pape : il nous a mis en route selon l’Esprit de Jésus. N’est-ce pas pour autant un effort vain, s’est-il interrogé, puisque dans l’œcuménisme, on ne défend plus les intérêts de la communauté dont on a la charge ? Oui, d’une certaine manière, l’œcuménisme est « en pure perte », mais au sens de la perte évangélique à laquelle Christ appelle : qui veut sauver sa vie la perd et qui la perd la voit sauvée. « Sauver ce qui nous est propre, a-t-il martelé, c’est marcher selon la chair ; se perdre en suivant Jésus, c’est marcher selon l’Esprit. »

Ce renversement l’a conduit vers sa conclusion : « Demandons à l’Esprit de revigorer notre pas. (…) Marcher ensemble, prier ensemble, travailler ensemble : voilà notre route principale ! (…) Marcher ensemble, pour nous chrétiens, n’est pas une stratégie pour faire davantage valoir notre poids, mais un acte d’obéissance envers le Seigneur et d’amour envers le monde ». Homélie simple, belle, enracinée bibliquement et, surtout, fortement évangélique.

Le discours de l’après-midi n’apporta pas de nouvelle fracassante. Mais celles et ceux qui l’écoutèrent, que le pape qualifia de « frères et sœurs réconciliés », furent frappés de son ton engagé et convaincu. Il lia étroitement souffle missionnaire et unité : évoquant la métaphore johannique de la vigne, il précisa : « nous ne porterons pas de fruit sans nous aider mutuellement à rester unis à Lui ». « Un moment beau et émouvant », selon les mots du pasteur Emmanuel Fuchs, président de l’Église protestante de Genève.

Laurent Schlumberger



2 commentaires: