mardi 19 juin 2018

" Dieu est-elle noire ? " et autres questions de représentations

(c) Albin Hillert/COE
Comment passe-t-on de près de 600 millions, le nombre de chrétiens des Églises réunies au sein du Conseil œcuménique des Églises (COE), à 150, le nombre de membres de l’instance de direction du COE, son comité central ? Certains des critères mis en œuvre semblent couler de source, d’autres sont plus discutables, tous nous font réfléchir à ce que signifie « représenter ».

Bien sûr, dans une organisation interconfessionnelle et mondiale, la répartition selon la tradition spirituelle (luthérienne, anglicane, orthodoxes des divers patriarcats, etc.) et la région du monde (Amérique latine, Proche-Orient, Asie, etc.) sont évidentes. À l’intérieur de ces régions géographiques, il est parfois tenu compte des aires historiques et culturelles ; pour prendre l’exemple de l’Europe : l’aire germanique, la Scandinavie, l’Europe latine, l’Europe centrale et orientale, la Russie, etc. 

En outre, puisque nous sommes en Église, il est important qu’un équilibre soit respecté entre laïcs et ministres ordonnés. La parité entre femmes et hommes est également recherchée. La taille des Églises n’est pas complètement ignorée.

Enfin, des critères beaucoup plus inhabituels pour nous français, mais très importants dans d’autres cultures, sont mis en œuvre : l’âge, l’appartenance à des peuples indigènes, le handicap, etc. 

On le voit, composer des instances sur la base de cette grille complexe relève au mieux de l’équilibre instable, au pire du casse-tête ! Mais surtout, s’agit-il d’une démarche légitime ? 

(c) Albin Hillert/COE
On a pu dire, d’une manière caricaturale, que, pour « faire carrière » au COE, il « valait mieux » être une femme noire et handicapée qu’un théologien mâle, blanc et occidental. Ce n’est pas complètement faux, et l’on pourrait évidemment discuter tel ou tel critère… ou en ajouter ! Mais c’est excessif et, surtout, quel autre mode de représentation imaginer ? La compétence ? Mais celles et ceux déjà en place coopteraient inévitablement leurs proches puisque, en début de mandat, chaque représentant d’Église à l’assemblée générale du COE ne connaît qu’un très petit nombre de pairs. Une campagne électorale ? Mais ce serait la porte ouverte à une compétition ridicule et aux lobbyings ouverts ou souterrains. Le tirage au sort ? Mais ce procédé, qui a pourtant ses lettres de noblesse dans la Grèce antique et dans la Bible même, aurait un caractère arbitraire donc largement inacceptable. Chaque méthode a ses effets pervers et la procédure actuelle, bien sûr perfectible, prête plutôt moins le flanc à la critique que d’autres.

Au fond, ces critères sont comme les contraintes que les poètes se donnent pour bousculer l’habitude et stimuler la créativité. Le résultat peut être de qualité variable, mais il oblige à s’interroger sur ce que c’est qu’être représenté et représentant. Comment nous représentons-nous les uns les autres ? 

Et au-delà, comment nous représentons-nous Dieu ? On connaît la blague du théologien conservateur qui, venant de mourir, monte directement au ciel, puis revient comme promis informer ses collègues sur l’au-delà. « Alors, comment est Dieu ? », s’impatient-ils ; et lui, pas encore remis de sa surprise : « elle est noire ». 

L’extraordinaire diversité que l’on rencontre au Conseil œcuménique des Églises, fruit de critères discutables dans le meilleur sens de ce terme, nous contraint à nous interroger sur nos représentations, les uns des autres, les uns par les autres et, ensemble, de Dieu. Elle les bouscule. Et ainsi, pour le meilleur, elle décape nos conceptions de l’Église et jusqu’à notre foi.

Laurent Schlumberger
théologien ordonné mâle européen, 
ni jeune, ni indigène, ni handicapé (ce qui fait beaucoup de défauts…)

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